par Sermonette, obèse indignée et militante.
Éloge du Snickers
Biscuit mais pas que.
Le snickers n’est pas une vulgaire “barre chocolatée”. Il n’est pas comme ses prétendus rivaux, qu’une accumulation solide de produits chimiques et de sucre. Le temps est venu de rendre hommage à ce biscuit qui est davantage qu’un biscuit : un concept, un style de vie, une ambition. Certes il n’a pas le panache du Mars, ni la bonhomie du Twix , ni l’energie du Lion ni l’espièglerie des Mnm’s. Il n’est pas ludique comme un stupide Kinder pingui, il n’est pas divisible comme l’odieux Kit-Kat (qui sous le fallacieux prétexte de son possible fractionnement en 4 parts, oblige quiconque l’achète à le partager), il n’a pas l’esthétique raffinée du Kinder Bueno, ni la gentillesse du Milka , encore moins la jovialité d’un Pepito.
L’emballage du snickers est ringard. De grandes lettres bleues style années 90 annonçant sans démagogie, en toute simplicité S-N-I-C-K-E-R-S.
Snickers . De l’ anglais « ricaner ». Et en effet le snickers est au gouter ce que le ricanement est à l’émotion humaine : à la fois doux et amer, subit et lucide, on le mange comme on éclate d’un rire cynique, avec une jouissance sans douceur et sans illusions.
L’emballage ne ment pas : pas de slogans hasardeux (tel que l’inepte « et ça repart » du Mars), ni d’images racoleuses (on pense tous ici aux deux imbéciles mascottes des MnM’s). Un mot. Un titre. C’est sportif et décent, je dirais même élégant, et, quitte à utiliser une expression galvaudée par des hipsters de seconde zone, « vintage ».
Le mot est lancé. Le snickers nous renvoie par son apparence et par sa teneur calorique, à un passé révolu, une époque encore enchantée où se gaver simplement de bonnes choses chimiques n’était pas encore conspué par le diktat esthético-écologique et la dialectique anorexico-financière . Ce bon vieux temps où le rêve américain existait encore, où obésité et savoir vivre n’étaient pas encore mis systématiquement en opposition.
Le snickers sent l’Amérique de James Dean, le blouson de cuir et les Trentes Glorieuses. Nutritif et complet, produit d’un autre temps, où on avait pour son argent et on savait se faire plaisir (pensons au prix odieusement élevé des grotesques galettes de riz Gerblé).
Le snickers est populaire. Il n’est pas politiquement correct.
Le snickers n’est pas beau. Il a l’aspect d’une énorme selle moulée. D’une crotte.
Mais passé cet a priori fécal , que découvre t-on ? on découvre une surface étonnement subtile, vallonnée d’arabesques évoquant presque un motif oriental et qui donne en trompe l’œil l’impression d’un nappage à peine déposé et encore fondant.
Si on le brise en deux, que se passe t-il ? D’abord la surface chocolatée se fissure légèrement, puis le nougat cède doucement comme un matelas que l’on éventre , et là, miracle sans cesse renouvelé si l’expérience à lieu à bonne température (22°), un long fil de caramel s’allonge, longiligne et transparent, et retient encore les deux parties jusqu’à ce qu’elles s’éloignent, devenant peu à peu ténu, presque invisible ; puis se brise.
Alors enfin on peut porter à la bouche ce don des dieux , et là, ça devient délirant. Les papilles surexcitées par cette avalanche de saveurs se mettent à secréter de la bave en folie, comme pour se prémunir d’un choc trop violent, en diluant les aromes dans le liquide salivaire. Les dents brisent d’abord le glacis chocolaté, et un frisson de plaisir comme un arc électrique se répand dans la nuque , puis elles descendent dans le nougat et le caramel qui forment un marécage poisseux qui colle délicieusement aux molaires.
Et là intervient alors l’invention la plus géniale de cette barre aussi vicieuse que celle de DSK, ce qui la distingue de toutes les autres, qui lui donne cet aura chamanique : les cacahuètes. Celui qui a eu cette idée gargantuesque a certainement vendu son âme au diable et croupit assurément dans la fange puante du troisième cercle de l’enfer qui punit les gourmands.
Comment décrire l’ineffable, cette sensation d’infini et de plénitude qui vous emplit comme un léger vertige, une douce ivresse, quand les dents imperturbables broient ces cacahuètes dont les débris épars se roulent dans le caramel et bousculent le nougat dans un tourbillon partousien de goûts et de textures.
Une fois la barre terminée, il est alors bien difficile de retourner à la laideur de la vie quotidienne.
Opium du dernier homme, dernier rempart comestible au vide postmoderne , on doit manger du Snickers comme on lève le poing, comme un fuck tranquille à tous les régimes Dukan , à toutes les quadra libérées qui font des abdos en écoutant Laurent Voulzy, aux psychologues, aux bourgeois bohèmes ou sédentaires, aux écolos et aux retraités grincheux.
Indignez-vous, nous dit le vieux gâteux. Mangez- moi nous dit le vieux gâteau.
Contre cette posture demi-habile, de profanes non-initiés , qu’est l’indignation, nous professons l’ingurgitation de snickers comme un appel , une révolution, un changement de regard.
A la fois obscène et distinguée , summum de luxure et de raffinement, simple et grandiose, pute et soumise, cette barre n’est pas un jeu, pas un divertissement, mais l’espèce sacrée de la transsubstantiation du cool.